La lune et le papillon

Un petit papillon qui s’appelait Léon

Etait très chagriné, blessé, par sa pâleur…

Dans les bois, sur les prés, à la belle saison,

Partout autour de lui, s’étalaient les couleurs,

Et lui …

Il était blanc, sans taches, sans yeux, très ordinaire,

Et plutôt malchanceux près de ses congénères…

Les seuls qu’il avait vus étaient sur des bouchons

Piqués dans une vitrine au milieu d’un salon.

Il y en avait des bleu, des noir, des tachetés,

Des turquoise, des orange, des rose comme le thé,

Des grenat, des lavande, aux ailes allongées

Piquetées de vert tendre, dentelées, crénelées,

Qui venaient du Sikkim ou de la Colombie,

De la Nouvelle-Guinée et aussi de Hongrie,

Et il admirait tant ces poussières d’étoiles,

Mêlées en fines écailles, tissées comme une toile,

Qu’il s’en vint voir sa mère sur un rhododendron :

« Pourquoi sommes-nous si fades, si blancs, si laiderons ?

Possédons-nous ailleurs, quelque autre qualité

Qui remplace le beau, particularité

Qui à défaut d’éclat pourrait nous faire aimer,

Et pour le moins me plaire, un peu me consoler ? »

«  Nous sommes résistants, et si tu cherches bien,

Tu verras notre espèce occuper le terrain ! 

Avec un petit bleu,  sans beaucoup d’envergure,

Et que l’on peut confondre au milieu des cultures 

Avec la fleur bleuet,  sans intérêt, en somme,

Et tout aussi banal que l’arbre qui fait les pommes !…»  

Le petit papillon qui s’appelait Léon

Fut tout ragaillardi, le cœur comme orphéon,

Mais garda son idée de se faire colorer !

En cherchant les moyens de bien y arriver,

Il entra chez un peintre, et dans son atelier

Trouva une palette où aller se frotter.

Ce fut dans le jaune d’or qu’il vint pour commencer,

Puis il choisit le bleu pour se mieux nuancer,

Et, enfin, suffoquant, il en sortit tout vert,

Les ailes panachées comme celle d’un pivert !

Il en était heureux, mais il allait mourir,

Si la femme des lieux ne l’aidait à sortir,

Et si, attentionnée, de ses mains délicates,

Elle n’avait essuyé, et ses ailes et ses pattes !

Ensuite, il pénétra le bureau d’un auteur,

Il vit de l’encre rouge, et comme correcteur,

Il se laissa tomber au fond de l’encrier,

Et une fois encore : faillit s’empoisonner !

Il toussa, se moucha, il fit le teinturier,

Et réussit enfin à pouvoir décoller.

Mais, il volait de travers et tout allait si mal,

Qu’il chutât dans la mare à côté de la halle !

Il avait atterri auprès des nénuphars,

Sur une nappe de cresson, au milieu des canards !

Alors, lui vint l’idée, qu’avec ces lentilles d’eau,

Il avait le moyen de se rendre plus beau !

En les gardant sur lui, il se ferait des yeux,

Et il aurait des points comme la bête à bon Dieu !

Il se positionna pour en couvrir ses ailes,

Mais quand il s’envola, point fut de coccinelle…

Une seule lentille resta, il la sentait peser,

Et il fut obligé de s’en débarrasser…

Une nouvelle fois Léon s’en vint trouver sa mère,

Lui confiant son chagrin, lui contant sa chimère…

En fronçant les sourcils, la papillonne lui dit

Ces mots qui pour nous tous valent encore aujourd’hui :

 «  Ce qu’il te faut d’abord, c’est trouver ta lumière.

Celle de l’intérieur qui fait chanter la Terre,

C’est elle qui sourit et fait danser la Vie,

Et fait naître pour toi ce dont tu as envie ! »

Alors, petit Léon, le cœur comme un violon,

Ne chercha plus en lui que l’illumination …

Ce fut un jour nouveau, et il était heureux,

Et volant sur les prés, il n’était plus peureux.

Amoureux de la Terre et de l’astre solaire,

Il montait vers le ciel et tout semblait lui plaire…

Mais, la nuit arriva où présidait la lune,

Et il continua malgré son infortune.

Il eut froid, il eut peur, il y eut des trous noirs,

Il se sentit perdu, et même, un certain soir,

Il se brûla aussi un peu le bout des ailes,

Montant toujours plus haut pour trouver l’arc-en-ciel…

Mais quand il arriva, la lune était voilée,

Un nuage passait, une écharpe envolée

Comme un manteau de soie couvrait l’astre lunaire.

Point de grande lumière, de clarté légendaire.

Après tout ce chemin si long depuis la terre

Léon prêt à pleurer, ici, se désespère !

Mais il est obstiné, et au dernier instant,

Il ne veut pas lâcher, choisit d’être confiant !

S’approchant de la lune, il va voler autour,

Et commence à lui dire son histoire, sans détour :

« Madame la lune, je viens pour trouver ma lumière,

Sur mes ailes, voyez-vous, je n’ai pas la poussière

Qui fait les belles couleurs, et j’en suis dépité !

Vous êtes si jolie, si claire, si argentée,

La nuit vous éclairez le ciel et les cités,

Et seule pouvez donner lueur d’éternité  !… »

La lune ne dit mot, mais le nuage passé,

Elle touche le papillon, semble le caresser…

Petit Léon frissonne car il sent sur son dos

Une nouvelle joie, une sorte de repos…

Violet, indigo, bleu, vert, jaune, orange et rouge,

Quelque chose qui vibre, une douceur qui bouge

Habille et fait gonfler ses ailes comme une voile :

Léon le papillon était vêtu  d’ETOILES …

Morale (facultative !) :

Avoir un idéal, regarder vers le haut,

Demande de la sagesse, du courage à propos.

Car à vouloir monter sans avoir le niveau,

On peut perdre sa vie et lâcher le flambeau !

Craignez, si m’en croyez, qu’on ne vous prenne au mot,

Et cultiver d’abord la fleur dans votre pot… !…

A- M W.